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Portrait de créatrice : Aude Herrard

J’ai le plaisir de mettre en lumière le travail d’Aude et de vous la faire découvrir, si ce n’était pas déjà le cas. Elle fut une de mes premières découvertes sur la toile d’Instagram et j’ai depuis, eu la chance de pouvoir lui commander quelques pièces afin de les offrir aux personnes que j’aime. J’ai pu avoir entre mes mains ces créations uniques et certaines dorment désormais sous le même toit que moi, j’ai craque (évidemment!). Des broderies d’une poésie si délicate et d’une finesse incroyable… Que cela soit les phrases brodées ou les modèles de femmes (parfois fleuries) qu’elle propose, l’élégance se révèlera à force d’observation, la nonchalance laissera place à la tendresse et votre œil vous confirmera que le talent est entre vos mains. Je vous laisse lire son portrait et visiter son site internet.

Bonjour Aude !

Qui es-tu : pourrais-tu te présenter pour les celles et ceux qui ne te connaitraient pas ? 

Je m’appelle Aude Herrard, je vis à la campagne au nord de Nantes depuis bientôt 3 ans. Je suis mariée à Thibault et j’ai deux filles de 11 et 9 ans, ainsi qu’une chienne et trois poules.

Je suis une femme de 40 ans qui aime les gens qui ont une belle âme, les fleurs, la poésie qui parle d’amour, m’occuper de mon jardin, j’aime les objets qui ont une histoire et fabriquer des petites choses avec du fil qui donnent du sens, du baume au cœur.

Je suis brodeuse depuis maintenant 4 ans et depuis presque 1 an au sein des Ateliers d’Art de France

Comment as-tu découvert cette fibre créative qui sommeillait en toi, comment s’est-elle révélée ?

Cela s’est fait par le drame de la mort – même si j’en parle avec légèreté aujourd’hui – toutes ces capacités se sont révélées à moi à travers la perte de personnes qui m’étaient très chères. Il y a eu le décès brutal de mon papa, il y a 12 ans. A ce moment-là, je travaillais dans l’urbanisme en bureau d’études, et cette perte m’a fait me dire qu’il fallait que je profite de ce que j’avais en moi, que je n’en sois pas frustrée ou triste si un jour la vie devait s’arrêter d’un coup. Alors, chaque soir et les week-ends je faisais de la couture, comme j’aimais le faire quand j’étais plus jeune mais dont j’avais oublié le sens en devenant adulte. Cette fibre faisait partie de moi, elle a toujours été là, l’envie de faire avec mes mains des trucs. D’ailleurs, je suis ravie de voir qu’une de mes filles ne peut s’empêcher de fabriquer des choses, même si certaines sont très éphémères. 

Il a donc fallu traverser une grosse phase de tristesse pour que cela se réveille. Le décès de ma Mamie est arrivé quelques années plus tard. Elle était ma référence dans le travail d’aiguilles. Puis il y a 5 ans, le décès du second mari de ma Maman qui était comme un deuxième papa pour moi depuis plus de 25 ans, suivi de la mort de mon grand-père, la même année. Ces évènements ont exacerbé tout ce qui me faisait moi, avec la frustration de manquer de temps pour faire ce qui me donnait envie de réellement me lever le matin. ça fait un peu pathos écrit comme cela, mais ces maux furent nécessaires pour me réveiller d’un trop long sommeil, clairement !

Que trouves-tu de spécial dans ton domaine de prédilection qu’est la broderie, pourquoi cette technique plutôt qu’une autre pour toi ? 

Avant d’arriver à la broderie, il y a eu plusieurs années de couture à la machine. Cette activité était bruyante. Elle brouillait mes idées dans ce petit moment de méditation que je m’octroyais en travaillant seule dans la petite pièce dans laquelle je m’étais installée. Et puis, travaillant le soir sous la chambre de mes filles, je cherchais vainement comment faire moins de bruit pour ne pas risquer de les réveiller. Je cherchais comment m’occuper en silence. La broderie est donc arrivée comme ça, en brodant les bras et les jambes des poupées grâce auxquelles j’ai compris qu’il fallait que je fasse quelque chose de mes mains. Depuis que j’ai redécouvert cette technique, elle me colle à la peau. Je l’avais laissé tomber plus jeune, car le point de croix ou la broderie classique au point de jeté, passé plat, etc, étaient trop rébarbatifs pour moi, trop scolaires, la méthode était trop restrictive. J’ai donc adapté la broderie à mon envie de ne pas me restreindre. C’est un peu compliqué à expliquer sans le voir mais je brode comme on dessine, je me passe avec plaisir de la régularité de la longueur des points, pour adapter le rendu du fil au dessin prédessiné et que le tout rende quelque chose de très minimaliste, simple et épuré, où l’on découvre parfois que c’est du fil et pas juste un trait de crayon ou d’encre. 

La broderie est un fabuleux médium qui me permet d’aller au bout de ce que je cherchais à faire, dessiner mais pas seulement. Utiliser le fil et le tissu pour lesquels j’ai une grande passion (je collectionne les bobines et des coupons en tous genres), comme cela je mets au même endroit tout ce qui me fait du bien. Et, j’en profite pour faire du bien aux autres, car je considère que je ne fais pas que broder. Je vais au delà. J’aime dire que mon travail sert à soigner un manque, un mal, un pas assez, un trop… à travers un mot, une phrase, une silhouette brodée. Comme la transmission d’une force à travers ce petit support. 

J’envoie un petit bout de moi, de mon âme, vers une personne qui trouve en cela du réconfort, un sourire, du courage.

Je suis arrivée à ce domaine par un concours de circonstances, comme on dit.

Avant de donner plus de place à cette activité artistique et créative, quel a été ton parcours scolaire, ton parcours de vie ? Te prédestinais-tu à cette vie d’entrepreneuse ? 

Je n’étais pas une bonne élève à l’école, je rêvais et n’étais pas très assidue au travail. J’ai détesté le collège, j’y ai appris la solitude et les moqueries ignobles (c’est vraiment ce que j’en ai retenu, hormis les cours d’arts plastiques que j’adorais). j’ai redoublé la 4ème, à cause d’une moyenne en maths de 2/20, j’étais complètement larguée. Je me suis orientée très vite après la 3ème pour fuir les autres élèves, en BEP Aménagements Paysagers. Et là, ce fut le bonheur, je m’y suis retrouvée avec d’autres élèves tous aussi perdus que moi, qui décrochaient ou qui avaient détesté le collège. J’y ai appris les plantes, les milieux naturels, les écosystèmes, les jardins en ville, pendant 6 ans (BEP, Bac Pro, BTS) avec la sensation d’apprendre réellement quelque chose d’utile. Après le BTS, j’ai tenté les concours pour entrer en Écoles Supérieures de Paysages et autres formations Supérieures (genre IUP), mais mon bagage n’étant pas Général m’a fermé un paquet de portes. Je ne voulais pas travailler tout de suite, alors je suis allée à l’université pour découvrir l’urbanisme (à l’Institut Français d’Urbanisme, Paris 8) qui était pour moi un complément nécessaire pour comprendre la nature en ville. J’y suis restée 4 ans, pour décrocher un Master en Urbanisme et faire un pied de nez à tous ceux qui pensaient que je n’irais pas loin en m’orientant vers des études professionnelles dès le lycée. 

J’ai travaillé dans différents bureaux d’études, pour finir chez un bailleur social au service des études de développement avant de me dire que ce n’était vraiment, mais vraiment pas pour moi.

J’avais suivi le schéma classique : études/diplômes/emploi salarié en CDI/en prévision de la retraite. J’étouffais et les évènements que j’ai décrit plus haut ainsi qu’un problème cardiaque m’ont fait prendre conscience qu’il fallait que je fasse quelque chose qui me semble utile, pour moi d’abord et pour les autres ensuite. Ne pas gaspiller mon temps, profiter de chaque instant car on ne sait pas ce qu’il y a au bout du chemin. J’ai donc eu envie de quitter ce travail pour ne faire que ce qui m’animait : de la broderie tout le jour et même la nuit. Cette envie est devenue intense au point de vouloir tout quitter. 

Je vis avec quelqu’un qui partage les mêmes valeurs de la vie que moi depuis toujours, nous élevons nos filles dans ce sens. Les plans de carrières ne sont pas pour nous, l’intérêt de l’argent non plus. Suivre le schéma “classique” de nos familles ne nous convient pas. Nous avons ressenti, quasi au même moment, un besoin énorme de faire ce que nous souhaitions faire avec le moins d’entraves possibles. Moi quitter mon boulot salarié pour vivre de ma passion et lui, partir pour changer d’air. Nous vivions en région parisienne, avec un très gros emprunt sur le dos. On a donc décidé de tout quitter, la région, notre banque et son prêt, nos boulots respectifs et partir à la campagne. On a choisi Nantes par hasard car nous n’y avions aucune attache. Nous avons pu vendre notre maison avec une très belle plus value et nous débarrasser de cet emprunt qui était toxique pour nous, pour tout recommencer ailleurs en étant plus sereins malgré le risque. Nous avons acheté une longère où il y a beaucoup de travaux de rénovation pour y créer notre maison, où chacun a son espace pour travailler, notre havre de paix à notre image, un jardin et la campagne à portée de pied.

Alors non, je ne me prédestinais absolument pas à l’entreprenariat et personne ne l’imaginais autour de moi, jusqu’au jour où cette petite voix au fond de moi m’a dit “Vas-y, tu peux le faire, n’aies pas peur comme d’autres qui n’ont pas osé, fais-le! Sens-toi libre!”

La vie d’autoentrepreneur.se oblige à être une sorte de mélange entre Shiva et un couteau suisse ! Quels en sont les avantages et les inconvénients selon toi ?

C’est exactement ça, Shiva et ses nombreux bras. 

Être un couteau-suisse en est un des avantages, même si cela empêche de passer plus de temps sur certains postes qui me semblent bien plus importants que d’autres. Je n’aime pas être considérée comme une entrepreneuse, car je ne me considère pas comme telle. Je préfère me limiter au terme de “faiseuse” car je ne souhaite pas développer mon activité au delà de ce que je peux faire toute seule, et je trouve que l’entreprenariat est très connoté développement, rendement de l’activité, croissance… J’ai une vue à 360° sur mon activité, je sais tout ce qui se passe dans ma petite entreprise puisque je suis cette entreprise. Je vois tout et c’est ce qui me convient, me rassure aussi dans les moments de doute. Je me sens forte tous les jours de pouvoir faire tout ça seule ; chose dont je ne me serais pas sentie capable il y a quelques années. Aujourd’hui je suis autonome, je n’ai besoin de personne pour me seconder. C’est ma limite, je la connais et cela m’évite assurément de me brûler les ailes.

Que retiens-tu de cette expérience et quel est ton prochain challenge ?

Je retiens la liberté de penser, de faire où et quand je veux. La liberté de travailler seule, sans rendre de compte à personne. Bon si, à l’Urssaf mais c’est accessoire 😉 !

Je me sens libérée des carcans qu’infligent la société, du regard des autres. Je me sens bien plus libre qu’avant de penser ce que je souhaite, d’avoir mes propres idées sur la société, le monde qui nous entoure et je me fiche de ce que les autres peuvent penser de ce que je pense. Je suis libre et ça n’a pas de prix. Je suis entière et je me ressemble enfin.

Mon prochain challenge… c’est difficile, il s’est passé tant de choses depuis 3 ans, peut être ralentir un peu pour travailler dans des conditions plus douces. 

Quelle est ta plus grande fierté ou ta plus grande réussite (une création, une rencontre, un événement de vie…) ?

Ma plus grande fierté est personnelle et partagée avec Thibault, c’est de ne pas avoir eu peur de quitter notre ancienne vie pour une nouvelle vie bien plus à notre image. 

Mais, si tu le permets, je ne souhaite pas me limiter à seulement une unique réussite. Parce qu’il y a eu aussi deux évènements plus récents et professionnels qui ont beaucoup marqué mon rapport au travail : intégrer les Ateliers d’Art de France et apparaître dans la très belle et réputée revue anglophone Koel Magazine.

Je suis fière de plein de choses, c’est difficile de se limiter. C’est important d’être fière de ce que l’on fait, de ce que l’on obtient surtout dans un milieu très solitaire. 

Enfin, quel est le meilleur conseil que tu aies jamais reçu et que tu transmettrais volontiers à celles & ceux qui nous lisent ? 

Écoute-toi et surtout Fais-le pour toi. 

Parce que j’aime beaucoup les citations et que j’ai trouvé en certaines l’essence pour avancer, en voici quelques-unes :

Jacques Prévert l’écrit si bien : “Notre vie c’est maintenant”. 

Pour reprendre les mots de Simone de Beauvoir : “J’accepte la grande aventure d’être moi”. 

Et enfin, Jean Giono “On a dû te dire qu’il fallait réussir dans la vie. Moi je te dis qu’il faut vivre, c’est la plus grande réussite du monde”. 

Écoute cette petite voix au fond de toi, Vis car on ne sait pas ce que nous réserve Demain.

Mille mercis pour tes réponses Aude et pour ce magnifique portrait.

A très bientôt =) 

(Toutes les photos sont ©AudeHerrard)

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